DPE : Un Ordre des diagnostiqueurs immobiliers en vue ?
SOMMAIRE
- Le DPE : Un pilier sous tension
- Un outil central dans la transition énergétique
- Une fiabilité régulièrement remise en question
- Un projet d’Ordre professionnel pour encadrer la profession
- Une mission parlementaire stratégique
- Une nécessité de structuration face à l’essor de la profession
- Un plan d’action gouvernemental déjà en marche
- Une stratégie multifacette pour lutter contre les fraudes
- Vers une réforme réglementaire d’ampleur
Le diagnostic de performance énergétique (DPE) est devenu en quelques années un outil central dans les politiques publiques de rénovation et de transition énergétique. Obligatoire pour toute mise en vente ou en location d’un bien immobilier, et opposable juridiquement depuis 2021, il influe désormais fortement sur la valeur d’un logement. À tel point que la classe énergétique d’un bien peut faire varier son prix de vente de près de 30 % selon certaines études. Pourtant, cette pièce maîtresse du dispositif est régulièrement pointée du doigt pour son manque de fiabilité.
Entre erreurs de classement, faux documents ou certifications douteuses, les cas de fraude se sont multipliés. Alors que les enjeux environnementaux s’intensifient et les restrictions sur les logements les plus énergivores se durcissent, l’urgence d’une régulation renforcée de la profession de diagnostiqueur devient manifeste.
Face à cette réalité du secteur, la ministre du Logement Valérie Létard a annoncé un plan de fiabilisation du DPE et confié une mission parlementaire à Daniel Labaronne pour étudier la création d’un Ordre professionnel des diagnostiqueurs immobiliers. L’enjeu est on ne peut plus clair : redonner de la crédibilité à une profession encore jeune, en instaurant un cadre éthique, déontologique et disciplinaire à la hauteur de ses nouvelles responsabilités.
Le DPE : Un pilier sous tension
Longtemps considéré comme un simple indicateur technique, le diagnostic de performance énergétique (DPE) est devenu, au fil des réformes, un levier stratégique dans la lutte contre les passoires thermiques. Son rôle dépasse désormais le cadre informatif : il conditionne l'accès à la location, influence le prix de vente des logements et oriente les travaux de rénovation énergétique.
Un outil central dans la transition énergétique
Depuis la loi Climat et Résilience de 2021, le DPE a été rendu juridiquement opposable. Autrement dit, les erreurs dans un diagnostic peuvent désormais engager la responsabilité du diagnostiqueur et donner lieu à des recours en justice.
Par ailleurs, le calendrier réglementaire ne cesse de durcir les obligations pour les propriétaires : depuis le 1er janvier 2025, les logements classés G sont interdits à la location, et ceux classés F le seront à partir de 2028. Ces restrictions créent une forte pression sur les propriétaires, parfois contraints d'engager des travaux coûteux ou de renoncer à la mise en location.
L’enjeu est d’autant plus important que les écarts de valeurs sont significatifs : un bien classé A peut se louer ou se vendre à un tarif jusqu’à 20 à 28 % plus élevé qu’un logement mal classé. Une différence qui peut s'apparenter à l'écart de prix entre un logement ancien et un logement neuf. Ce pouvoir du DPE en fait un instrument de régulation du marché immobilier, mais aussi une source potentielle de dérives.

Une fiabilité régulièrement remise en question
Avec l'ampleur que prend le DPE, la question de la qualité et de la sincérité des diagnostics devient essentielle. Selon les estimations du ministère du Logement, environ 1,7 % des DPE réalisés seraient frauduleux, soit environ 70 000 par an sur les 4 millions effectués. Ce chiffre grimpe selon certaines associations si l’on tient compte des diagnostics réalisés sans numéro d’enregistrement ou avec de faux identifiants. L'association Fed Experts, notamment, alerte sur l'étendue du phénomène.
Les fraudes les plus courantes incluent la falsification des étiquettes, la manipulation des logiciels ou l’émission de diagnostics sans aucune visite réelle du bien. Ces pratiques discréditent l’ensemble de la profession, jettent le doute sur la valeur juridique du DPE, et peuvent induire en erreur les acheteurs ou locataires.
Même les professionnels du secteur reconnaissent que le modèle actuel, fondé sur une forte croissance du nombre d’acteurs et une certification parfois trop accessible, a atteint ses limites. La multiplication des intervenants peu qualifiés, ou agissant sans réel encadrement, nuit à la confiance du public et fragilise la politique de rénovation énergétique.
Un projet d’Ordre professionnel pour encadrer la profession
Face aux dérives constatées et à la perte de crédibilité du DPE, le gouvernement envisage une transformation profonde du secteur en s’inspirant de modèles éprouvés dans d’autres professions réglementées. C’est dans cette optique que Valérie Létard, ministre du Logement, a confié au député Daniel Labaronne une mission parlementaire sur la création d’un Ordre des diagnostiqueurs immobiliers.
Une mission parlementaire stratégique
Officiellement désigné le 28 avril 2025, le député d’Indre-et-Loire Daniel Labaronne est chargé d’étudier les modalités de mise en place d’un Ordre professionnel, en analysant ses implications juridiques, organisationnelles et éthiques. Selon le communiqué du ministère, il devra proposer toutes les mesures permettant à la profession de s’organiser pour renforcer les régulations, à la hauteur des responsabilités que la loi lui a confiées
.
Parmi ses objectifs figure la rédaction d’un code de déontologie, la création d’un registre officiel des professionnels certifiés, ainsi que la mise en œuvre de mécanismes disciplinaires pour sanctionner les fautes graves. En somme, un cadre structurant et responsabilisant pour garantir la compétence et l’intégrité des intervenants du secteur.
Une mission tout-à-fait dans le prolongement du plan de fiabilisation du DPE présenté par la ministre en mars, qui ambitionne de répondre à la crise de confiance du public et des acteurs immobiliers vis-à-vis du dispositif.
Une nécessité de structuration face à l’essor de la profession
Aujourd’hui, à la différence d’architectes, de géomètres-experts ou même d’agents immobiliers, les diagnostiqueurs n’appartiennent à aucun ordre professionnel ni ne sont soumis à une formation universitaire standardisée.
La profession s'est développée de manière rapide, à mesure que les réglementations environnementales se sont durcies. Ce développement rapide a permis à certains opérateurs peu rigoureux de prospérer dans un cadre encore permissif.
La création d’un Ordre représenterait ainsi un changement de paradigme, en instituant une régulation par les pairs, des exigences accrues de formation initiale et continue, ainsi qu’un véritable ancrage institutionnel. Valérie Létard insiste d’ailleurs sur la nécessité de renforcer la transparence, la qualité et l’éthique de la profession, estimant qu’un tel Ordre « pourrait être une réponse efficace face aux fraudeurs ».
Ce projet est accueilli avec intérêt par une partie des professionnels, qui y voient un moyen de valoriser leur expertise et de restaurer la confiance du public, à condition que sa mise en œuvre ne se traduise pas par une bureaucratisation excessive ou des barrières d’entrée trop rigides.

Un plan d’action gouvernemental déjà en marche
Si l’idée d’un Ordre professionnel structure la réponse politique à la crise de confiance autour du DPE, elle ne constitue qu’un volet d’un plan plus vaste. Le ministère du Logement a déjà lancé une série de mesures concrètes pour assainir la profession et enrayer les pratiques frauduleuses, dans le cadre d’un plan d’action en dix mesures présenté en mars 2025.
Une stratégie multifacette pour lutter contre les fraudes
L’objectif du gouvernement est clair : fiabiliser le DPE en s’attaquant à ses points faibles, notamment le manque de contrôle et l’opacité de certaines pratiques. Pour cela, plusieurs leviers sont mobilisés :
- Détection automatique des fraudes grâce à l’intelligence artificielle, capable d’identifier les anomalies statistiques dans les diagnostics.
- Contrôles sur site renforcés, avec une montée en puissance importante: 3 000 diagnostiqueurs contrôlés en 2023, 8 000 en 2024, et un objectif de 10 000 en 2025.
- Géolocalisation des diagnostics pour s’assurer que les visites ont bien eu lieu.
- Création d’une « liste noire » des professionnels fautifs, accessible aux particuliers comme aux professionnels.
- Outil de certification amélioré, destiné à distinguer les diagnostiqueurs les plus fiables.
Les résultats commencent à se faire sentir : 557 retraits de certification ont déjà été prononcés depuis juillet 2024, et l’État estime avoir prévenu l’équivalent de 229 millions d’euros de fraude grâce à ces dispositifs.
Vers une réforme réglementaire d’ampleur
En parallèle, le gouvernement travaille à la réécriture de deux arrêtés majeurs encadrant la profession de diagnostiqueur immobilier. Une concertation est en cours avec les fédérations et les acteurs de terrain, afin de produire un texte mieux adapté aux enjeux actuels. Le ministère prévoit que ces arrêtés, qui traduiront 80 % des engagements du plan antifraude, soient publiés d’ici l’été 2025.
Ces modifications réglementaires sont pensées pour préparer le terrain à une éventuelle création d’Ordre professionnel, en mettant en place les outils juridiques et techniques nécessaires à une surveillance plus rigoureuse du secteur. C’est donc une réforme systémique qui est en gestation, à la croisée de la politique énergétique, de la régulation professionnelle et de la lutte contre les abus.
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