DPE : Deux nouveaux décrets pour l'encadrer, le fiabiliser et lutter contre les fraudes
SOMMAIRE
- DPE sous la loupe : un terrain miné par les fraudes
- Un marché massif et sous pression
- Fraudes chiffrées et dérives de « complaisance »
- La Cour des comptes tire le signal d’alarme
- Deux textes pour replacer le DPE sur des rails sûrs
- Un calendrier en trois temps
- QR codes, algorithmes et liste noire : la riposte antifraude
- La traçabilité tient dans un carré de pixels
- Étiquette sous scellés tant que l’Ademe n’a pas tamponné
- Big Data aux aguets, contrôles démultipliés
- Sanctions : le purgatoire passe à 18 mois
- Propriétaires, bailleurs, diagnostiqueurs : nouvelles règles du jeu
- Les diagnostiqueurs face à la montée en gamme
- Ce qui change pour les propriétaires et bailleurs
- Effet de ricochet sur la valeur des biens
- Marché locatif et ventes forcées
Quatre millions de diagnostics de performance énergétique sont réalisés chaque année, dont près de 70 000 seraient frauduleux, d’après la ministre du Logement. Pour refermer cette brèche, deux décrets datés du 16 juin 2025 et publiés au Journal officiel encadrent désormais la profession : QR codes sur chaque rapport, enregistrement préalable auprès de l’Ademe et sanctions alourdies pour les diagnostiqueurs indélicats.
En transformant le DPE en carnet de santé numérique, traçable de la cave au grenier, le gouvernement espère restaurer la confiance d’un marché où l’étiquette énergétique pèse déjà lourd sur la valeur des biens.
DPE sous la loupe : un terrain miné par les fraudes
Un marché massif et sous pression
Avec près de quatre millions de diagnostics dressés chaque année – soit plus de 18 000 rapports établis chaque jour ouvré – le DPE ressemble à une autoroute jamais dégorgée. Le ministère de la Transition écologique chiffre même le flux à 350 000 rapports mensuels, un volume en hausse de 46 % depuis 2019 en raison de l’effet d’aubaine des aides à la rénovation et de l’interdiction progressive de louer les passoires thermiques. Cette inflation rapide du nombre de diagnostiqueurs – plus de 9 300 professionnels certifiés aujourd’hui – accroît mécaniquement le risque d’erreurs ou de dérives (source : ecologie.gouv).
Fraudes chiffrées et dérives de « complaisance »
La ministre du Logement Valérie Létard a reconnu en mars 2025 environ 70 000 diagnostics de complaisance
par an, soit 1,7 % du marché. Derrière ce pourcentage apparemment modeste, se cachent des centaines de millions d’euros de valeur immobilière potentiellement faussée et des décisions de rénovation ou d’achat biaisées. Les fraudeurs jouent souvent sur la tentation de franchir la frontière entre la classe F et E pour éviter l’interdiction de louer – une simple lettre, mais des enjeux patrimoniaux vitaux.
La Cour des comptes tire le signal d’alarme
Dans un rapport rendu public le 3 juin 2025, la Cour des comptes dresse un constat sévère : Des lacunes subsistent dans le contrôle de la filière
, pointant un pilotage « insuffisamment anticipé » et des vérifications trop limitées de la base de données de l’Ademe. L’institution relève que la fiabilité du DPE repose encore sur un mécanisme de certification fragmenté et exhorte l’État à développer des outils d’analyse statistique plus fins, capables de déclencher des alertes ciblées
.
Le contexte est d’autant plus tendu que 5,5 millions de logements demeurent des passoires thermiques, alors que la classe G est bannie du marché locatif depuis le 1er janvier 2025.
Deux textes pour replacer le DPE sur des rails sûrs
Le premier décret , publié sous forme d’arrêté (Numéro NOR ATDL2513472A), resserre la formation des diagnostiqueurs. Toute inscription à l’examen suppose une formation achevée depuis moins de 18 mois ; l’épreuve théorique puise désormais ses questions dans une banque aléatoire, histoire de couper court au bachotage.
Le second texte (NOR ATDL2513478A) agit sur les logiciels. Un QR Code personnel, présenté dès l’entrée du diagnostiqueur, certifie son habilitation ; un second QR Code, greffé à la première page du rapport, oriente le lecteur vers la copie officielle hébergée par l’Ademe.
Nous détaillerons plus bas les tenants et aboutissants de ces nouvelles mesures.
Un calendrier en trois temps
Étape | Disposition appliquée | Entrée en vigueur |
---|---|---|
QR Code de certification |
Présentation obligatoire du code par l'opérateur |
1er juillet 2025 |
QR Code sur le rapport |
Accès public au DPE via le site Ademe |
1er septembre 2025 |
Blocage des étiquettes |
Affichage après dépôt du rapport à l'Ademe |
1er octobre 2025 |
Plusieurs volets de la refonte de la certification (annuaire public, contrôle statistique des anomalies) s’achèveront le 1ᵉʳ novembre, bouclant l’opération avant la fin de l’année.
La presse parle de « deux décrets », mais il s’agit, sur le plan juridique, de deux arrêtés ; le glissement sémantique montre surtout la portée politique que le gouvernement veut donner à cette réforme.

QR codes, algorithmes et liste noire : la riposte antifraude
La traçabilité tient dans un carré de pixels
Comme mentionné plus haut, désormais, deux QR codes escortent chaque diagnostic :
- le premier, brandi par l’opérateur à son arrivée, renvoie à sa certification ;
- le second, imprimé en page 1 du rapport, conduit le propriétaire vers la version authentifiée hébergée par l’Ademe.
En pratique, un smartphone suffit pour lever le voile sur l’identité du diagnostiqueur et sur la « carte grise » énergétique du logement.
Étiquette sous scellés tant que l’Ademe n’a pas tamponné
Les logiciels DPE n’affichent plus la fameuse étiquette avant la transmission du fichier à l’agence publique. Objectif : supprimer la tentation du « petit coup de pouce » qui fait basculer un F en E. Le verrou numérique s’applique au plus tard le 1ᵉʳ octobre 2025, date à laquelle toute note non déposée restera masquée.
Big Data aux aguets, contrôles démultipliés
Les 4 millions de DPE stockés seront passés au crible d’un outil statistique capable de repérer un diagnostiqueur hyper-productif ou avare de classes F et G. Le ministère veut avoir analysé ces 4 millions de rapports et audité 10 000 professionnels d’ici décembre 2025. Les contrôles sur site et sur dossier doivent grimper à 10 000 par an, contre 8 000 en 2024 et 3 000 en 2023, avec l’ambition que chaque opérateur soit vérifié au moins une fois par an.
Sanctions : le purgatoire passe à 18 mois
Lorsqu’une fraude est avérée, la certification tombe d’un bloc et l’intéressé est blacklisté. La liste noire qu'il rejoint est visible par l’ensemble des organismes. La durée minimale d’exclusion bondit de six à dix-huit mois, portée à vingt-quatre en cas de récidive.
Le ministère prévient que nul professionnel sanctionné ne pourra se réinscrire dans aucun organisme certificateur
. En filigrane, une menace : l’exclusion équivaut à une mise à l’arrêt économique pour ceux qui vivaient déjà sur la corde raide.
Propriétaires, bailleurs, diagnostiqueurs : nouvelles règles du jeu
Les diagnostiqueurs face à la montée en gamme
Les deux arrêtés transforment la certification en véritable “permis de conduire” : formation allongée, examen théorique renouvelé, audits Cofrac tous les dix mois. FIDI et SIDIANE, les deux principaux syndicats, demandent déjà un fonds d’accompagnement pour éviter qu’un simple coût de recertification n’élimine les indépendants du marché.
Les logiciels, eux, devront intégrer le double QR code et le verrou d’étiquette : une mise à jour que les éditeurs chiffrent à “plusieurs dizaines de milliers d’euros” pour les plateformes les plus diffusées, d’après Actu-Environnement.
Ce qui change pour les propriétaires et bailleurs
- Interdiction de louer les passoires thermiques : tous les logements classés G sont exclus du parc locatif depuis le 1ᵉʳ janvier 2025, ceux classés F suivront en 2028, puis les E en 2034.
- Validité des anciens diagnostics : les DPE réalisés entre 2018 et la mi-2021 ont perdu leur validité au 1ᵉʳ janvier 2025 ; un nouveau diagnostic conforme est indispensable avant toute vente ou mise en location.
- Sanctions financières : l’absence d’étiquette conforme, ou la publication d’un DPE non enregistré, expose le propriétaire à une amende administrative pouvant atteindre 3 000 € (15 000 € pour une société).
Effet de ricochet sur la valeur des biens
Plus l’étiquette grimpe, plus le prix s’envole : d’après l’outil “Impact DPE” de SeLoger, un logement classé A se négocie en moyenne +593 €/m² par rapport à un bien de classe D, quand une passoire G subit une décote de -457 €/m². Les marges de négociation suivent la même pente : -6,1 % pour un G contre -3,6 % pour un A.
Autrement dit, l’étiquette énergétique pèse désormais autant qu’un balcon ou qu’un étage élevé dans l'achat d'un logement : un “quatrième mur” invisible, mais bien réel, qui oriente la décision d’achat.
Marché locatif et ventes forcées
Le ministère recense 1,3 million de passoires thermiques rien que dans le parc locatif privé. L’interdiction de 2025 a déjà provoqué une hausse de 12 % des mises en vente de biens F ou G depuis début 2024, selon une étude SeLoger citée par Le Monde. Pour compenser la décote, certains vendeurs préfèrent engager des travaux ; les banques, elles, accordent des “prêts verts” assortis d’une décote de 0,10 à 0,30 point si l’acheteur s’engage à gagner deux lettres de DPE.
En moins de douze mois, la filière se retrouve donc placée devant un triptyque inédit : réapprendre son métier, payer la remise à niveau, et prouver chaque jour sa probité. Et ce, sans compter l'éventuelle mise en place d'un Ordre des diagnostiqueurs, garde-fou supplémentaire envisagé par le gouvernement, à l'étude depuis avril 2025 avec le député Daniel Labaronne aux manettes.
Côté bailleurs, l’enjeu se résume à un compte à rebours : retaper ou sortir du marché. Entre les deux, le DPE devient juge de paix, QR code en guise de sceau officiel.
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