Réhabilitation du Grand Bleu à Cleunay : 144 logements font peau neuve
SOMMAIRE
- Genèse d’un immeuble emblématique Rennais
- Naissance de la « Cité de l’École » (1958-1960)
- Première réputation et intégration dans le quartier
- La rénovation de 1985 : parenthèse grise
- La grande réhabilitation 2021-2024
- Performance énergétique et confort des habitants
- Patrimoine architectural et retour à l’identité bleue
- Participation citoyenne et vie de chantier en site occupé
- Le chantier, son budget et ses contraintes
- Maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre
- Budget, planning, contraintes
- Projet « Mémoire du Grand Bleu » et appropriation artistique
Sur la rive ouest de Rennes, la résidence sociale baptisée « Le Grand Bleu » vient d’achever une réhabilitation complète entamée en 2021. Conçu par l’architecte Georges Maillols et livré en 1960, l’immeuble de neuf étages est l’un des premiers repères urbains du quartier Cleunay. Ses façades bleues – disparues lors d’un chantier mené en 1985 – ont retrouvé leur teinte d’origine, tandis que fenêtres, isolation et ventilation ont été modernisées pour mieux contenir les dépenses énergétiques.
L’opération, pilotée par l’office public Archipel Habitat, a mobilisé un budget important et s’est déroulée en site occupé, exigeant une coordination étroite entre locataires et entreprises.
La rénovation énergétique du "Grand Bleu" met un coup de projecteur sur les enjeux que pose aux bailleurs sociaux la remise à niveau des architectures des Trente Glorieuses : performance énergétique, maintien d’une offre abordable et valorisation d’un héritage encore récent mais déjà inscrit dans la mémoire collective rennaise.
Genèse d’un immeuble emblématique Rennais
Naissance de la « Cité de l’École » (1958-1960)
Au tournant des années 1960, Rennes doit répondre à une pénurie aiguë de logements sociaux. L’appel de l’abbé Pierre, lancé en février 1954, a mis la question du « mal-logement » au premier rang des priorités nationales ; le quartier de Cleunay, alors couvert de baraquements provisoires hérités de la guerre, incarne ce besoin pressant. Pour y remédier, la Ville confie à l’architecte Georges Maillols — futur auteur des tours Horizons — la construction d’un ensemble de grande hauteur : la « Cité de l’École ».
Le permis est délivré en 1958, les travaux s’achèvent en 1960. L’immeuble se déploie sur neuf étages et 27 mètres, totalise près de 10 000 m² de surface de plancher et offre 144 logements — du T2 au T5 — desservis par deux cages d’escalier externes traitées comme des prismes de couleur. Maillols choisit un bleu soutenu pour les façades, teinte qui lui vaut rapidement le surnom de « Grand Bleu ».
Les coursives, clairement lisibles depuis la rue Champion-de-Cicé, rappellent les ponts d’un paquebot ; les escaliers, plus opaques, en constituent la proue. Une esthétique maritime qui répond à une volonté d’affirmer un logement social de qualité et de marquer l’entrée du quartier.
Première réputation et intégration dans le quartier
À la livraison, la tour tranche radicalement avec l’habitat pavillonnaire alentour : elle « rompt complètement avec l’échelle » environnante, souligne aujourd’hui la fiche technique de Coda Architectes. Les habitants venus de logis insalubres de la rue de Brest découvrent le confort d’un chauffage collectif au charbon, de salles d’eau carrelées et de cuisines indépendantes.
Très vite, l’immeuble devient un repère visuel visible depuis toute la rue, mais aussi un lieu de sociabilité. Martine, 68 ans, arrivée en 1977, se souvient que « la solidarité entre les gens » compensait les défauts techniques d’origine .
Le tissu associatif local se structure autour de la cité : clubs d’épargne, fêtes de paliers, comité de locataires. Au fil des ans, les habitants parlent volontiers d’un « village vertical », une expression qui survivra aux modifications ultérieures et entretiendra l’identité collective du bâtiment. L’empreinte du Grand Bleu dépasse même Cleunay : vu depuis la rocade, il annonce la silhouette moderniste de Rennes des Trente Glorieuses.

La rénovation de 1985 : parenthèse grise
Vingt-cinq ans après son inauguration, la résidence montre les premiers signes de fatigue : déperditions thermiques, menuiseries vieillissantes, infiltrations ponctuelles. L’office public — précurseur d’Archipel Habitat — lance alors une campagne de rénovation ciblée. Si l’opération améliore l’isolation et remplace certaines huisseries, elle efface le bleu original au profit d’un enduit gris clair, jugé plus « neutre » et moins salissant. Cette décision marque une rupture avec la conception chromatique de Maillols. Mon mari était désolé quand il a découvert l’immeuble en gris
, confiera plus tard Monique Maillols .
Techniquement efficace pour son époque, cette réhabilitation n’intègre pas encore les exigences énergétiques et patrimoniales qui prévalent aujourd’hui. Elle laisse cependant intacte la structure en béton armé et les coursives, préservant les qualités spatiales de l’édifice. Surtout, elle entretient la vocation sociale du lieu : aucun relogement définitif n’est envisagé, le « village » reste debout.
La disparition du bleu, toutefois, nourrit un sentiment de perte symbolique chez les habitants comme chez les défenseurs de l’architecture des années 1960. Ce regret servira de fil rouge à la réflexion qui mènera, trois décennies plus tard, au chantier de 2021-2024 : restaurer l’identité d’origine tout en portant la performance énergétique à la norme contemporaine.
La grande réhabilitation 2021-2024
Performance énergétique et confort des habitants
Avant l’ouverture du chantier, les diagnostics menés par Archipel Habitat et le bureau d’études Alterea faisaient état de déperditions thermiques importantes : menuiseries en simple vitrage, ponts thermiques non traités et ventilation naturelle limitée aux bouches d’extraction dans les pièces humides.
Les consommations de chauffage approchaient les 250 kWh/m² SHAB/an, un niveau très loin de celui des logements neufs rennais et difficilement soutenable pour un parc social, d’autant que les prix de l’énergie augmentaient régulièrement. Les deux objectifs fixés en 2021 étaient de réduire d’au moins 40 % la facture énergétique moyenne et d'améliorer la qualité de l’air intérieur.
Pour y parvenir, l’enveloppe a été entièrement revue : pose de menuiseries PVC double vitrage à faible émissivité, isolation par l’extérieur (14 cm de laine minérale sous enduit minéral respirant) et traitement systématique des ponts thermiques au droit des planchers.
Les salles de bains, cuisines et WC ont été démolies puis reconstruites avec des équipements basse consommation, tandis que l’éclairage des parties communes est désormais assuré par des LED sur détection de présence. Une VMC hygroréglable de nouvelle génération, dimensionnée pour les 144 logements, garantit un renouvellement d’air continu en modulant le débit selon l’humidité réelle.
Sur le plan du confort d’usage, cette réhabilitation à Rennes vise aussi la sécurité et l’accessibilité. Les tableaux électriques ont été mis aux normes NF C 15-100 ; des mains courantes inox ont été ajoutées dans les escaliers extérieurs ; huit logements ont été adaptés aux personnes à mobilité réduite grâce à l’élargissement des portes, aux douches à l’italienne et à la suppression des seuils.
Les premières mesures réalisées depuis l’inauguration confirment une baisse de température superficielle des parois intérieures d’environ 4 °C en période hivernale, traduite par une diminution sensible de la condensation et des moisissures.

Patrimoine architectural et retour à l’identité bleue
Le volet énergétique ne pouvait être dissocié d’une réflexion patrimoniale : le Grand Bleu appartient à la courte liste des édifices rennais conçus par Georges Maillols avant qu’il ne réalise les tours Horizons. Restaurer son identité colorée s’est donc imposé comme une évidence.
Les archives municipales et le fonds Maillols ont permis d’identifier la référence RAL 5017 comme teinte d’origine. Les services patrimoniaux de la Ville, la direction de l’urbanisme et la veuve de l’architecte ont validé le principe d’un retour au « bleu Maillols », perçu comme un marqueur visuel à l’échelle du quartier.
Sur le plan technique, cela a conduit à appliquer une peinture minérale silicatée à haute durabilité, compatible avec la nouvelle isolation et exempte de solvants organiques volatils. Les coursives, élément expressif majeur, ont été décapées, micro-poncées puis repeintes, tandis que les escaliers extérieurs ont reçu la même tonalité afin de recréer l’effet de « vagues » voulu par Maillols. Les pignons, eux, ont été habillés de panneaux aluminium composites gris clair, assurant une transition douce avec les maisons pavillonnaires voisines.
Les halls d’entrée, autrefois exigus, ont également été agrandis par un prolongement vitré de trois mètres côté rue Champion-de-Cicé. Une transparence nouvelle qui permet un contrôle visuel depuis l’espace public et met en valeur la hauteur sous plafond d’origine. À l’intérieur, les revêtements en grès cérame et les boîtes aux lettres en acier laqué répondent à la charte chromatique ; les luminaires tubulaires linéaires rappellent le vocabulaire moderniste des années 1960.
Participation citoyenne et vie de chantier en site occupé
Conduire un chantier de deux ans sans relogement massif supposait une organisation millimétrée. Archipel Habitat a établi un phasage par « tranches actives » : six semaines de travaux par logement, avec rotation verticale afin de limiter les nuisances sonores à deux demi-journées consécutives.
Des appartements témoins ont été présentés aux locataires en amont, et une cellule d’écoute hebdomadaire a traité près de 300 demandes entre juillet 2021 et avril 2024. Les plages horaires les plus bruyantes étaient limitées à 9h-12h et 14h-17h ; un ascenseur sur deux est resté disponible en permanence pour garantir l’accessibilité aux étages supérieurs.
La dimension participative s’est incarnée dans le projet artistique « Mémoire du Grand Bleu » que nous détaillerons plus bas, financé pour moitié du budget chantier et pour moitié du Fonds de participation des habitants de Cleunay.
Le chantier a aussi comporté une clause sociale imposant 3 000 heures de travail pour des personnes éloignées de l’emploi, mobilisant un groupement local d’insertion. Dix entreprises basées en Ille-et-Vilaine — gros œuvre, menuiseries, étanchéité, peinture — ont participé. La célébration du 6 mai 2024 a clôturé le dispositif : remise symbolique des clés des parties communes rénovées, visites guidées par les architectes et partage d’un livret pédagogique retraçant l’histoire du Grand Bleu.

Le chantier, son budget et ses contraintes
Maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre
La réhabilitation du Grand Bleu est pilotée par Archipel Habitat, office public de l’habitat de Rennes Métropole, maître d’ouvrage d’un parc de 15 000 logements. Pour ce projet, l’office a constitué une équipe de maîtrise d’œuvre articulée autour de Coda Architectes, associé au bureau d’études techniques Alterea (fluides, thermique, économie de la construction).
Ce tandem connaît déjà les particularités des immeubles Maillols : il a livré en 2019 la rénovation du Trimaran, autre réalisation de l’architecte dans le quartier Bréquigny. L’équipe comprend également un coordonnateur sécurité-protection de la santé, un contrôleur technique et un assistant à maîtrise d’ouvrage spécialisé dans la concertation locative.
Dès la phase diagnostic (fin 2019), Coda Architectes a mené un relevé exhaustif des coursives, des gaines et des réseaux horizontaux, base de l’audit énergétique confié à Alterea. Une maquette numérique simplifiée au format IFC, limitée aux éléments structurels et aux enveloppes, a été créée ; elle a servi de support aux échanges avec les six entreprises de second œuvre retenues lors de l’appel d’offres lancé au second semestre 2020. La signature des marchés a eu lieu en février 2021, après validation par le conseil d’administration d’Archipel Habitat.
Budget, planning, contraintes
Le coût total de l’opération s’élève à 8 millions d’euros TTC, soit 6,7 millions d’euros HT pour 9 636 m² de surface de plancher. Le financement mobilise :
- 1,9 M€ de fonds propres de l’office,
- 2,5 M€ de prêt CDC à taux bonifié,
- 1,4 M€ de certificats d’économies d’énergie
- 2,2 M€ de subventions (Anah, Région Bretagne, Département)
Le dossier de consultation des entreprises (DCE) a été publié en mars 2021 ; le chantier a débuté en 2023 pour s’achever fin avril 2025, soit 2 ans de lourds travaux.
Le bâtiment étant occupé, la contrainte centrale a été l’organisation d’un phasage vertical, comme mentionné plus haut : dix tranches de quatorze logements, chacune traitée en six semaines. Un calendrier prévisionnel détaillé était remis aux locataires trois semaines à l’avance. Les ascenseurs ont été maintenus en service grâce à l’installation d’un monte-charges extérieur dédié aux entreprises, posé sur la façade nord.
Pour la gestion des déchets, un tri à la source a été imposé dès la dépose : le flux inertes (béton, faïence), bois, menuiseries métalliques et emballages a atteint un taux de valorisation de 82 % en masse, supérieur de dix points à l’objectif fixé par Archipel Habitat. Un coordinateur logistique, salarié d’une entreprise d’insertion, assurait le contrôle quotidien des bennes et la propreté des circulations.

Projet « Mémoire du Grand Bleu » et appropriation artistique
La dimension culturelle de la réhabilitation s’est cristallisée dans le programme « Mémoire du Grand Bleu ». Imaginé par le collectif Maksim’Art et cofinancé par le Fonds de participation des habitants de Cleunay (6 000 €) et le budget chantier (6 000 €), il a mobilisé trente locataires, dont quinze adolescents scolarisés au collège Clotilde-Vautier.
Animés par l’artiste et résidente Funda Tokaç, les ateliers ont produit quatre mosaïques de deux mètres carrés chacune, installées à l’entrée des cages A, B, C et D. Inspirées des registres maritimes chers à Maillols — vagues, hublots, silhouettes de navires —, elles s’appuient sur des fragments de vaisselle et de verre récoltés auprès des habitants.
Les séances hebdomadaires, organisées dans une salle mise à disposition par la Maison de quartier, ont servi de lieu de transmission : anciens et nouveaux locataires y ont partagé souvenirs, photographies d’archives et anecdotes sur la vie dans la barre depuis les années 1960. Le livret final, tiré à 300 exemplaires, retrace ces témoignages et présente un glossaire illustré de termes propres à l’architecture du bâtiment (coursive, bandeau, potelet). Distribué à chaque foyer, il contribue à pérenniser la mémoire collective et à donner sens à la nouvelle tonalité bleue retrouvée.
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